« Lumière, lumière »
D’abord ce fut six mois par an, comme s’il me fallait vérifier que la parisienne que je suis peut se passer de la capitale. Puis un été, j’ai eu une envie d’école buissonnière et de rester passer l’hiver dans le Sud. Par bonheur, mon activité de psy à distance me permet d’envisager de changer de lieu de vie. Si une seule raison devait résumer ma décision à son essence, elle se tiendrait en un mot : « la lumière ». L’idée annoncée que j’allais à coups sûrs manquer de lumière au bout de quelques mois à Paris, me stressait. J’optais donc pour rester dans notre maison près d’Arles et sa lumière éclatante. On devient vite ‘accroc’ au bleu du ciel, au soleil qui parfois même écrase.
Encore l’automne en Provence. A l’approche de l’hiver, tout au long de mes journées de consultation, mes patients me mènent de par le monde sans que je bouge de ma chaise, face à mon jardin. Un poste d’observation privilégié pour mesurer l’impact des différences de luminosité sur le moral des troupes. Ainsi, La belle euphorie de mes patients de Suède, qui, dès mai, les faisait vivre dehors comme s’il y avait une urgence absolue à exposer leurs corps aux rayons du soleil, s’est mue en un repli et un souci de confort intérieur qu’ils nomment d’ailleurs le ‘hygge’. Même sensation chez ceux qui vivent en Europe du Nord ou en Amérique du Nord, c’est-à-dire proche du pôle. Certains, se connaissant bien, font appel à leur lampe de luminothérapie. D’autres, n’en ayant absolument pas conscience, recherchent ailleurs des causes à leur coup de mou récurrent et inexpliqué de fin d’année.
En revanche, il y a tous ceux qui semblent avoir oublié l’impact de la grisaille prolongée et des variations du rythme du jour et de la nuit. Ceux-ci, il n’y a pas de hasard, vivent en Asie, ou plutôt proche de l’équateur, là où la durée du jour varie peu.
Il est connu que la lumière agit sur le bien-être de notre cerveau. Je l’ai expérimenté personnellement, et le vérifie régulièrement, tant le contraste des humeurs des uns et des autres présente des similarités en fonction de la latitude où ils habitent. Au plus fort de la grisaille et de la nuit, même dans un cadre psychothérapeutique, voire analytique, il m’apparaît essentiel de mesurer l’impact des variations physiologiques de chacun sur le cours de nos pensées, indépendamment de toute dimension psychologique. Les états dépressifs ont à faire avec notre inconscient, certes, mais aussi avec l’équilibre biologique de notre cerveau. La privation de lumière influe bien plus finement qu’il n’y paraît, et certaines sécrétions hormonales s’en trouvent – on le sait – totalement perturbées.
Cet entrelacement entre le rôle de notre inconscient et les effets du temps rend la prise en charge plus passionnante encore. S’exposer à la lumière en plein hiver est un besoin réel. Nous sommes interdépendants du rythme de nos saisons. Il influe sur la qualité de notre moral — et ce « ciel bas et lourd (qui) pèse comme un couvercle »* sur les parisiens n’est peut-être pas étranger au spleen dont ils sont réputés familiers.
*‘Spleen’ de Charles Baudelaire (poème LXXVVVI des Fleurs du mal).