Tout schuss ?!

Tout schuss ?!

L’hiver est là et un bon nombre de mes patients répartis aux quatre coins du globe envisagent de prendre quelques jours de congés en France pour aller au ski, c’est-à-dire revenir du bout du monde pour que les enfants décrochent leur première étoile !

Je n’ai jamais saisi ce qui pousse à rêver d’un séjour au ski. Je trouve ces vacances hors de prix, contraignantes et exténuantes. J’ai bien essayé de me laisser gagner par le plaisir de la glisse, la frénésie des remonte-pentes ou le menu des restaurants d’altitude. En vain, je n’ai retenu que la souffrance de la chaussure de ski, la peur de la chute, et les queues dans une station surchargée. Prendre des vacances, n’est-ce pas faire une pause dans un quotidien souvent stressant, changer son rythme pour un ralentissement salvateur ? Ou encore se rapprocher de la nature ? Bref, tout l’inverse de la ruée sur les routes de montagne, de la promiscuité des aires de repos, de la peur des autres sur les pistes… Pendant mes séjours en station, accompagnée d’amis enthousiastes et d’un conjoint acharné, j’avais le sentiment de passer à côté de l’appel de la montagne : une invitation à me ressourcer, à me reposer. La contemplation de son paysage enneigé, de sa puissance majestueuse m’inspirait calme, souffle profond, ralentissement. Le bruit de mes pas dans la neige, la perte des repères visuels, le froid sec qui pique, tout me demandait de m’arrêter, afin de regarder, sentir. Pendant ce temps, les autres m’attendaient déjà sur la piste. Je les ralentissais. Ils devaient être impatients de faire la queue aux œufs, entravés par skis et bâtons. Plus d’une fois, j’ai résisté à l’envie de planter tout le monde pour me poser devant les cîmes. Faire l’école buissonnière du ski aurait été vécu comme du gâchis, de « la confiture aux cochons », au prix où ça coûte, ça s’amortit !

Aujourd’hui, l’âge aidant, je pars à distance des remontées mécaniques, je privilégie la vue, je choisis bien mes lectures. Je vais à contresens de la ferveur ambiante qui se résume à avaler la montagne, la dévaler. De quoi avons-nous peur en sillonnant les pistes à toute allure, en fuyant l’appel de la montagne ? D’être confrontés à son immensité, à la puissance des éléments qui nous donne la mesure de notre fragilité ou de la brièveté de nos vies à l’échelle des transformations géologiques ? La montagne nous pose des questions existentielles. J’incite donc mes patients avides de sensations fortes à prendre leur temps tout en perdant leurs repères, et à constater ce qu’il se passe, sans autre projet que de suivre la course du soleil sur les flancs de la montagne et écouter le trajet de leurs pensées. Dans une période où nous cherchons le sens et où nous souhaitons protéger notre planète, la course effrénée aux vacances au ski est peut-être d’un autre temps — de celui où il fallait ne rien rater, tout essayer, s’enivrer de vitesse et prendre quelques risques inconsidérés pour se sentir vivant. Gageons que les « vacances au ski » laisseront petit à petit la place aux  « séjours en montagne » !