Les vacances de Monsieur Julot
Il avait décidé de faire un tour du monde lors d’une année sabbatique. Il ne cachait pas son désir de s’éloigner d’un quotidien pesant, d’une famille intrusive. Il pensait son voyage comme un passage à la vie adulte, une émancipation. Il frisait la quarantaine, mais il ne se sentait pas adulte. Il n’y a pas d’âge pour devenir adulte ! La thérapie se résume – peut-être – à cet unique projet : devenir adulte, c’est-à-dire, déployer ses ailes, assumer ses choix, sans l’influence des de cette petite voix intérieure qui nous dicte le bien et le mal selon des principes inculqués par nos parents, notre éducation, notre milieu, notre environnement, et que l’on nomme le ‘surmoi’.
Monsieur Julot partit donc pour de grandes vacances, loin de tout, pour prendre de la distance avec son surmoi. En revanche, il décida de continuer son e-thérapie. Mobile par essence, sa tablette dans le sac à dos, il me fit parcourir le monde avec lui. Il me consulta tantôt en halte chez des amis du Canada, où l’hiver battait son plein, tantôt embarqué dans les Antilles sur un bateau où il donnait un coup de main, une autre fois au bord du Mékong sur les traces de son histoire.
Il est commun que les vacances imposent une halte à ce travail au long cours de thérapie. Cette pause laisse sous-entendre qu’en vacances, tout va mieux, que l’on n’a plus l’esprit à ça, et cantonne de fait la thérapie à notre univers quotidien. Or l’on remarque qu’en temps normal, les séances peuvent être très centrées justement sur un quotidien pesant, qui fait parfois écran à une libre introspection.
En accompagnant Monsieur Julot, mais aussi d’autres depuis, sur la route de leurs vacances, ensemble nous avons accès à d’autres strates de leur histoire personnelle. Untel est chez « maman » dans une maison familière lourde d’histoires qui alterne bons et bien moins bons souvenirs. Il se sent brutalement infantilisé par les lieux et la situation. Il remarque qu’il mange plus, qu’il n’est pas aussi heureux qu’il l’espérait, qu’il se sent agacé, emprisonné. La séance de sa chambre d’enfant permet alors d’évoquer des souvenirs qui ressurgissent, d’utiliser des photos de famille, qui siègent dans la maison et que l’on avait fini par ne plus voir. Telle autre remarque qu’elle s’ennuie en vacances avec son conjoint, que le face-à-face n’est pas simple, qu’à la maison ils réussissent à brouiller les pistes en créant du mouvement autour d’eux, mais qu’au bord de la piscine, il n’y a rien d’autre à faire qu’à constater que l’on n’a plus rien à se dire.
A l’inverse, il y a cette jeune femme tendue toute l’année qui ne se décontracte qu’en vacances, comme si elle était double – même son sourire est différent quand le soleil l’a un peu colorée. Et puis, ces expatriés qui, souvent l’été, rentrent au « bercail » et s’interrogent parfois sur les raisons profondes de leur choix de vie loin de toutes racines.
Le travail d’e-thérapie offre alors une nouvelle voie de pratique, afin d’explorer in situ nos relations à la famille, aux lieux et au vide… Reste que – par chance – les vacances existent aussi pour les psys !