Léon a la bougeotte
À sa première séance de thérapie par Skype, Léon m’expliqua qu’il vivait en Afrique. Mon contact lui venait d’une amie en poste en Asie, qui à son tour avait entendu parler de moi par une collègue en Russie. Bouche-à-oreille numérique.
Léon allait très mal. Plein d’idées noires, il ne pensait qu’à fuir ses responsabilités. J’étais inquiète, il avait besoin d’être hospitalisé. Il ne voulait pas consulter sur place et je n’avais que nos séances virtuelles pour le soutenir. Nous avons multiplié les séances. Je le soutenais entre deux par sms. Très vite, de m’avoir « dans sa poche, dans son smartphone, à disposition et disponible » l’apaisa. Il accepta de rentrer à Lyon – sa ville natale – pour y être hospitalisé et traité médicalement. Pendant son séjour, son psychiatre nous encouragea à poursuivre la thérapie à distance.
Léon était si agité que nos séances me donnaient le tournis. Toujours de son smartphone, il déambulait pendant les séances, révélant divers paysages en arrière-plan. Tantôt, j’apercevais les arbres du centre de soins, tantôt un coin de mur, un bout de ciel. Dès qu’il eût la permission de sortir, il me fit visiter Lyon : ici le bord du fleuve, là le coucher de soleil sur la basilique. Son agitation me confrontait à un nouvel espace de thérapie que je n’avais pas anticipé. Allant mieux, m’emportant dans la poche, il reprit le chemin de l’Afrique et de ses responsabilités.
Léon me demandait un suivi adapté à son époque, couplant agilité numérique et mobilité. Habituellement, je conseille à mes patients de se poser dans un cadre récurrent au calme. Avec Léon ce n’était pas possible car son incapacité à trouver sa place était son symptôme. Si je voulais l’aider, il fallait que je lui emboîte le pas. Sa mobilité me renseignait sur son état, comme un baromètre de son bouillonnement intérieur. Quand le calme arriva, il se stabilisa, de sorte qu’aujourd’hui il lui arrive de rester assis toute une séance.
L’e-thérapie remet au goût du jour les visites à domicile, donnant accès à une autre proximité. Les uns me font visiter leur intérieur, les autres me font suivre leur travail artistique ; avec l’une on évoque sa difficulté à mettre de l’ordre, une autre me montre sa vue sur le Pacifique. La consultation à distance permet d’aller à la rencontre de l’univers de l’autre, me sortant ainsi du cadre fixe de mon bureau. En fait, chaque thérapie à distance s’enrichit d’une composante de proximité numérique.
Il y a peu, sur la route de ses vacances, Léon fit sa séance sur un parking d’autoroute. Quelques jours après, il prit conscience qu’il s’était arrêté à quelques kilomètres de chez moi. Afrique, Lyon, Sud de la France, nous ne nous sommes toujours pas rencontrés « en vrai ». Qu’importe ! C’est la proximité au sein de notre travail qui compte. Léon va beaucoup mieux – il vient d’être Papa.
Merci à « Léon » de m’avoir autorisée à évoquer notre travail. Son prénom a été modifié.