Dis Siri, peux-tu appeler ma psy ?
Sur la page internet de mon écran d’ordinateur s’allume la lumière verte de ma prochaine consultation. Mon patient est en ligne, en quelque sorte, dans ma salle d’attente virtuelle. À travers son écran, il va me retrouver, comme à l’accoutumée, assise à mon bureau devant ma bibliothèque.
En cabinet, le « cadre » de la consultation, c’est-à-dire la durée et le rythme des séances, mais aussi le lieu, le contact, constitue le terreau fécond de la thérapie. En e-thérapie, il s’agit donc de recréer virtuellement un lieu stable et familier pour faire naître la parole. L’image sur l’écran doit offrir une ambiance incitant à libérer les mots. Ainsi peut surgir le fameux transfert, cette capacité du patient à projeter sur son thérapeute des ressentis, des émotions afin de laisser émerger des souvenirs : première étape pour qu’il déroule le fil de son histoire. Habitués à penser que le transfert nécessitait un endroit précis, on craignait de s’en écarter, d’où, depuis le début du 20ème siècle, la tradition de recevoir en cabinet.
Désormais, à l’ère d’internet, pour aller à son rendez-vous de thérapie, il suffit de demander à Siri (le logiciel de reconnaissance vocale d’Apple) de joindre son psy ! Mais, si de mon côté, le cadre de consultation est fixe, familier, du côté des patients il arrive qu’ils prennent des libertés. Les uns m’invitent chez eux ou au bureau, souvent au même endroit, dans un rituel confortable pour eux. Mais d’autres me consultent d’endroits plus inattendus. Je pense en particulier à ce jeune homme qui m’emporte littéralement avec lui, me faisant tour à tour assister en arrière plan à un coucher de soleil, au passage du train, à la visite d’un parc, tantôt en France, tantôt ailleurs. Son désir de mouvement s’est invité dans le sens même de sa thérapie, en devenant une thérapie mobile dont lui avait besoin et qui s’avère pour moi riche d’enseignements. En marchant tout en me consultant, il met en perspective une question centrale pour lui : « où est ma place ? »
Autre particularité du cadre virtuel, il interdit de fait le silence, car l’absence de réponse à travers un écran est vite vécue comme un ‘bug’ : « êtes-vous là ? ». Il a donc fallu apprendre à écouter tout en restant animée, afin de rendre palpable ma présence. Ainsi, la réalité virtuelle de nos écrans réduit toute distance corporelle par rapport à une consultation en cabinet. Et même si, en réalité, nous nous trouvons sur deux continents différents, le face-à-face, lui, est plus serré, souvent les yeux dans les yeux. Il est alors plus difficile d’échapper à la présence lors des séances qui semblent souvent plus concentrées. Car si l’écran modifie notre notion de l’« être ensemble », qui ne signifie plus « être au même endroit », mais bien « être dans le même espace-temps », la consultation dite « virtuelle » est en réalité on ne peut plus concrète !