Couple mixte
1986, hôpital Trousseau à Paris. Je suis étudiante en médecine. En regardant des radios affichées sur l’écran lumineux face à nous, mon voisin s’étonne auprès du Professeur Carlioz du nombre d’enfants étrangers hospitalisés dans le service. Le Professeur clôt la conversation d’une phrase percutante : « Nous sommes tous l’étranger de quelqu’un ».
Aujourd’hui, à travers ma consultation digitale, j’accueille des patients vivant à l’étranger, parfois aux côtés d’un conjoint issu du pays où ils résident. Couples mixtes, dit-on : Europe/Afrique, Europe/Asie, Europe/Amérique, voire Europe/Europe. Ils ont en commun, au départ de l’histoire, l’enthousiasme de découvrir la culture de l’autre. L’exotisme de leur relation génère souvent un vent de liberté, une ouverture au monde, aux autres. Puis, passée – comme chez tous les couples – l’intensité de l’état amoureux, il faut ensuite s’ancrer quelque part, se projeter dans une famille, faire cohabiter des belles-familles. Et parfois, cela devient bien difficile de ne pas avoir la même langue maternelle, de ne pas partager la même vision de la vie, la même conception de l’amour. Il est légitime, quand on est issu d’un pays défavorisé, d’avoir envie avant tout de s’élever socialement, même à travers son conjoint. Certains ont des désirs de consommer là où, en Europe, nous abordons le ralentissement et la décroissance. Il est alors aisé de trouver futiles les désirs de consommation de l’autre, quand on a déjà tout eu. On peut très bien être francophones et pourtant ne pas se comprendre, car la langue change d’un pays à l’autre, et les us et coutumes avec.
Mariée à un anglais parlant un français parfait, je connais les multiples discussions quotidiennes sur de menus détails : quand prenons-nous nos repas ? Manger un toast froid, est-ce que cela a du sens ? Faut-il ou pas mettre un nuage de lait dans son thé ?
Quand le couple mixte se dispute, il a plus qu’un autre le sentiment que l’étranger que représente l’autre en est la cause principale. Me revient alors cette phrase : « Nous sommes tous l’étranger de quelqu’un ». Cela signifie que notre travail d’humanité consiste à aller à la rencontre de l’altérité de l’autre. Le couple est, pour cela, un laboratoire. Vous pouvez épouser votre voisin de palier, chercher absolument un régional à vos côtés ou quelqu’un de la même communauté, finalement, un jour, nous nous réveillons tous aux côtés d’un étranger.
Ainsi, quand des partenaires ont dès le départ choisi d’aller vers un autre vraiment différent, ils étaient peut-être plus ancrés dans la réalité de ce qu’est toujours la vie de couple : une école du compromis et de la tolérance, qui nous invite quotidiennement à faire une place à l’étranger qu’est l’autre. Parce que l’autre est toujours un autre, même quand on pense se ressembler. Et la magie du couple réside, d’après moi, dans cette école de l’altérité qui nous oblige à gagner en humanité. Ainsi, les couples dits « mixtes » ne le sont pas plus que les autres. L’expression tient finalement plus d’un pléonasme.